Cette première section de l'étude se concentre sur l'évolution du nombre de collectivités territoriales entre 2012 et 2021, en examinant à la fois les grandes tendances comparatives et les spécificités observées en fonction des différents échelons de gouvernance.

Tendances générales comparatives

Parmi les 40 pays du CCRE couverts par cette étude, il y a 36 pays unitaires (y compris des états régionaux comme l'Espagne et l'Italie) et quatre pays fédéraux. Huit pays[1] ont un échelon intermédiaire de gouvernance, par exemple des provinces ou des comtés, et plus de la moitié[2] ont un échelon régional.

L'une des évolutions majeures qui se dégage est le fait que des réformes territoriales ont été introduites dans une majorité non négligeable des 40 pays couverts par l'étude. Un quart d'entre eux[3] n'ont cependant connu aucun changement dans le nombre de collectivités territoriales au cours de la période étudiée. Sur 25 % des pays du CCRE qui n'ont enregistré aucun changement dans le nombre de leurs gouvernements infranationaux, huit d'entre eux ont aussi inclus les autorités régionales.

La deuxième tendance notable montre que la majorité des changements ont eu lieu aux échelons local ou municipal. Nous avons donc ventilé les pays pour examiner les changements comparatifs en Europe au niveau local uniquement et les avons regroupés en fonction du caractère insignifiant (moins de 10 %), modéré (entre 10 et 50 %) ou majeur (changement supérieur à 50 %) de ces changements, comme le montrent la Figure 01 et le Tableau 01 ci-dessous.

 

Table 1.1 - Évolution du nombre de collectivités locales entre 2012 et 2021

 

Europe du Nord 
Estonie -65,0%
Lettonie -64,7%
Norvège -17,2%
Islande -9,2%
Finlande -8,0%
Royaume-Uni -6,7%
Danemark 0%
Lituanie 0%
Suède 0%
Europe de l’Est 
Ukraine -84,6%
Géorgie -7,2%
Hongrie -0,72%
Pologne -0,08%
Moldavie 0%
Roumanie 0%
Slovaquie 0%
République Tchèque 0,13%
Bulgarie 0,4%
Europe du Sud 
Albanie -83,6%
Turquie -47,4%
Portugal -30%
Macédoine du Nord -4,7%
Italie -2,3%
Israël -1,2%
Croatie 0%
Chypre 0%
Malte 0%
Serbie 0%
Espagne 0%
Slovénie 0,5%
Grèce 2%
Bosnie- Herzégovine 6%
Kosovo 13,9%
Monténégro 19,0%
Europe occidentale 
Pays-Bas -15,8%
Espagne -11,1%
Allemagne -5,9%
France -5%
Luxembourg -3,8%
Belgique -1,4%

 

Il est intéressant de noter qu'un grand nombre de réformes territoriales qui ont eu lieu au cours de la dernière décennie semblent principalement axées sur la réduction du nombre de gouvernements locaux et la création d’unités plus grandes. Dans le cas de la Finlande, par exemple, 23 fusions de municipalités ont eu lieu entre 2013 et 2021, avec une diminution du nombre de municipalités de 336 à 309, et une augmentation de la taille des gouvernements locaux. En Albanie, 12 régions ont été créées alors même que le nombre de municipalités était réduit de 373 à 61. À Malte, cinq conseils régionaux ont été créés en 2021 (auparavant appelés « comités régionaux »), à la suite du processus de réforme du gouvernement local et de la publication de la loi n° XIV de 2019. Leur base juridique a été renforcée ainsi que leurs pouvoirs. De nombreux exemples énumérés ci-dessous confirment cette tendance à la diminution du nombre de municipalités et/ou à l'augmentation des fusions au fil des ans.

 

 

[1] Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Ukraine.

[2] Vingt-sept pays possèdent un échelonrégional : Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie Herzégovine, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Israël, Italie, Lettonie, Malta, Moldavie, Norvège, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Suède et Ukraine.

[3] Onze pays : Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Lituanie, Malte, Moldavie, Roumanie, Serbie, Slovaquie et Suède.

 

Les échelons de gouvernance à la loupe

Echelon municipal/communal

De manière générale, l’échelon municipal/communal est le gouvernement qui a subi le plus de changements ces dernières années et c'est également là que la diminution globale du nombre de collectivités est indéniable. Pourtant, bien que cette constatation ait été validée dans les 40 pays qui ont répondu à l'enquête du CCRE, il existe également quelques cas divergents.

 

Sur les 22 pays[1] où le nombre de municipalités a diminué, 13 pays[2] ont connu une baisse limitée du nombre de municipalités (de 0 à 10 %). Dans 3 pays[3], le nombre de municipalités a diminué entre 10 et 20 % et, au Portugal, de 30 %. En Turquie, le nombre de municipalités a diminué de plus de 45 %. Les baisses les plus importantes ont été observées en Ukraine (-85 %), en Albanie (-84 %), en Estonie (-65 %) et en Lettonie (-65 %)[4].

 

Néanmoins, le nombre de municipalités a augmenté au cours de la période observée dans sept pays. En Bulgarie (+0,4 %), en République tchèque (+0,13 %), en Grèce (+2 %) et en Slovénie (+0,5 %), l'augmentation enregistrée a été minime. Une augmentation plus perceptible a pu être observée en Bosnie-Herzégovine (+6 %) et au Kosovo (+14 %). Toutefois, l'augmentation la plus importante a été enregistrée au Monténégro (+19 %).

 

Dans 11 pays[5], le nombre de municipalités est resté inchangé au cours de la dernière décennie.

 

Echelon intermédiaire

Un échelon intermédiaire, correspondant à l'existence de provinces ou de comtés fonctionnant à la fois comme une unité administrative et politique, existe actuellement dans huit pays[6]

 

La plupart des pays qui disposent de cet échelon intermédiaire ont également des régions, à l'exception de la Hongrie et des Pays-Bas.

 

De manière générale, il n'y a pas eu de changements significatifs dans le nombre de gouvernements intermédiaires. La différence se situe entre 0,0 % et 2,7 %, tel que montré dans le Tableau 1.2.

 

Table 1.2 – Évolution du nombre de gouvernements intermédiaires entre 2012 et 2021

 

Europe occidentale 
France -1,0%
Allemagne -0,3%
Belgique 0%
Pays-Bas 0%
Europe de l’Est 
Ukraine -72,1%
Hongrie 0%
Pologne 0,3%
Europe du Sud 
Italie -2,7%

 

Source: Enquête TERRI 2021 | CCRE[7]

 

Encadré 1 - La Finlande fait un saut local : des comtés créés pour s'occuper des questions de santé

En Finlande, un nouveau « niveau d'autonomie » vient d’être mis en place : 21 comtés sont désormais en charge des services de bien-être. Le projet de réforme des services sociaux et de santé a été adopté par le Parlement finlandais en juin 2021[8]. Pour la première fois, des comtés sont créés, qui se verront confier l'organisation des services de santé et des services sociaux, ainsi que des services de secours, par les autorités locales (municipalités et autorités municipales conjointes)[9].

À première vue, cette réforme semble équivaloir à la création d'un nouvel échelon déconcentré du gouvernement central, d'autant plus que les trois ministères compétents dans ce domaine nommeront des conseils consultatifs pour les « comtés de services de bien-être » et mèneront des négociations annuelles pour contrôler, évaluer et diriger l'organisation des services dans les comtés.

Néanmoins, un conseil de comté, élu par vote populaire direct, constituera l'organe de décision le plus élevé de chaque comté de services de bien-être. Les premières élections de comté ont lieu le 23 janvier 2022.

 

Deux exceptions, en Finlande (voir Encadré 1) et en Ukraine, méritent d'être soulignées. Dans ce dernier pays, les réformes administratives et territoriales introduites de 2015 à 2021 ont entraîné des changements importants dans la structure territoriale du pays. Un processus de fusion volontaire est en cours depuis 2015, ce qui a entraîné non seulement la réduction des collectivités territoriales ou « hromadas[10] » à l’échelon local, qui sont passées de 11 517 à 1 775, mais aussi à l’échelon intermédiaire où les unités administratives « rayons » ont diminué de 488 à 136[11]. Selon l'Association des villes ukrainiennes et l'Association ukrainienne des conseils de district et régionaux, les conseils de districts ont perdu toutes leurs compétences à la suite de la réforme territoriale de 2020[12]

 

Echelon régional

Sur la base des réponses au questionnaire, 27 des pays étudiés ont un échelon régional de gouvernance[13]. Au cours de la dernière décennie, il n'y a pas eu de changement dans le nombre de gouvernements régionaux dans 24 de ces pays.

 

Dans deux pays cependant, le nombre de régions a fortement diminué : en France (diminution de -33 %) et en Norvège (-42 %). Dans le cas de la Norvège, la décentralisation et les réformes gouvernementales ont été motivées par l'objectif de réduire les coûts, ainsi que par celui d'adapter les services aux besoins des citoyens et d'améliorer la responsabilité démocratique. À Malte, un échelon régional de gouvernement a été créé en 2021.

 

Table 1.3 – Évolution du nombre de gouvernements régionaux entre 2012 et 2021

Europe du Nord 
Norvège -42%
Lettonie 0%
Finlande 0%
Royaume-Uni 0%
Danemark 0%
Suède 0%
Europe de l’Est 
République tchèque 0%
Géorgie 0%
Moldavie 0%
Pologne 0%
Roumanie 0%
Slovaquie 0%
Ukraine 0%
Europe du Sud 
Albanie 0%
Bosnie et Herzégovine 0%
Croatie 0%
Grèce 0%
Israël 0%
Italie 0%
Malte 100%
Portugal 0%
Serbie 0%
Espagne 0%
Europe occidentale 
France -33%
Autriche 3%
Allemagne 0%
Belgique 0%

 

Source: Enquête TERRI 2021 | CCRE[14]

 

En conclusion, les réformes territoriales qui ont eu lieu au cours de la dernière décennie ont été mises en œuvre principalement à l’échelon local, puis des changements ont eu lieu à l’échelon régional, avec seulement quelques rares changements à l’échelon intermédiaire. Ces résultats sont conformes aux données et statistiques d'études antérieures menées par l'OCDE[15] et CGLU[16] à l’échelle mondiale, qui ont mis en évidence des tendances similaires en matière de décentralisation. Ces évolutions ont souvent conduit à une autonomie accrue des municipalités, renforçant ainsi le lien entre les citoyens et les organes de décision locaux.

Dans une certaine mesure, ces réorganisations peuvent être attribuées à la dernière crise économique et financière de 2008, qui a suscité une forte poussée vers les économies de coûts dans la fourniture de services publics, les services municipaux fragmentés étant souvent considérés comme un obstacle à une meilleure rentabilité. Cette volonté d'améliorer la rentabilité à l’échelon municipal a peut-être accéléré le rythme de la coopération intercommunale ainsi que le rôle croissant des régions. Plus avant dans l'étude, nous évaluerons comment et dans quelle mesure ces changements ont influencé le nombre et/ou les types de collectivités territoriales.

[1] Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Hongrie, Islande, Israël, Italie, Lettonie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Turquie, Ukraine, Royaume-Uni.

[2] Allemagne, Belgique, Finlande, France, Géorgie, Hongrie, Islande, Israël, Italie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Pologne, Royaume-Uni.

[3] Autriche, Norvège, Pays-Bas.

[4] À partir du 1er juillet 2021, la Lettonie comptera 42 municipalités, conformément à la réforme administrative territoriale approuvée par la Saeima en dernière lecture le mercredi 10 juin 2021.

[5] Onze pays : Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Lituanie, Malte, Moldavie, Roumanie, Serbie, Slovaquie et Suède.

[6] Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Ukraine.

[7] Les régions géographiques ont été répertoriées selon le système de classification des pays européens des Nations Unies : https://unstats.un.org/unsd/methodology/m49/

Mise en page inspirée de la source suivante : https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/03003930.2018.1530660?needAccess=true, p. 2ff

[8] Pour plus d'informations, voir : https://soteuudistus.fi/en/-/1271139/government-proposal-for-health-and-social-services-reform-and-related-legislation-proceeds-to-parliament

[9] Pour plus d'informations sur la création de nouveaux comtés dans le cadre des réformes de la santé, voir la Partie 3.A. 

[10] Communautés territoriales.

[11] Pour plus d'informations, voir la publication de PLATFORMA : https://platforma-dev.eu/fr/new-publications-decentralisation-and-local-public-administration-reform-in-georgia-moldova-and-ukraine/

[12] Décision de la Verkhovna Rada d'Ukraine (assemblée) sur la formation des rayons (17 juillet 2020).

[13] Les vingt-six pays sont : Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie et Herzégovine, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Israël, Italie, Lettonie, Moldavie, Norvège, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Suède, Ukraine.

[14] Les régions géographiques ont été répertoriées selon le système de classification des pays européens des Nations Unies : https://unstats.un.org/unsd/methodology/m49/

Cette section est fondée sur la source suivante : https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/03003930.2018.1530660?needAccess=true, p. 2ff.

[15] OCDE, Réussir la décentralisation - Manuel à l'intention des décideurs (2019), Réussir la décentralisation: Manuel à l’intention des décideurs | fr | OCDE (oecd.org)

[16] decalogue_covid19.pdf (uclg.org)