Cette section de l'étude explore les principaux développements des systèmes de santé en Europe au cours de la dernière décennie, sur la base des réponses à l'enquête menée auprès des associations du CCRE. L'enquête s'est également intéressée à déterminer si ces réformes ont affecté de quelque manière que ce soit les compétences exercées par les collectivités territoriales dans le domaine de la santé et, dans l'affirmative, si l'impact consistait davantage en des tendances décentralisatrices ou centralisatrices, ou si elles ont entraîné d'autres changements en termes de gouvernance.

Réformes de la santé depuis 2010

Au cours de la dernière décennie, les systèmes de santé de 22 pays ont subi une réorganisation globale majeure, comme le montre la Figure 5. Cette réorganisation a eu des répercussions importantes sur de nombreux aspects de la gouvernance desdits systèmes. En Autriche, les réformes de la santé entreprises en 2012 et 2013 ont introduit un système de « gouvernance axée sur les objectifs », afin de favoriser une coopération plus étroite et une coordination accrue des opérations entre les principaux acteurs cibles, ainsi qu'entre les différents domaines de soins. En 2019, des réformes structurelles ont conduit à des fusions entre les 21 institutions d'assurance sociale existantes, réduisant leur nombre à seulement 5. D'autres réformes des soins de santé en cours pour la période 2017-2021 visent à renforcer les soins primaires.

 

Figure 5: Réformes de la santé au cours des dix dernières années dans 38 pays du CCRE

Source: Enquête TERRI 2021 | CCRE[1]

 

Parmi les autres développements récents importants mentionnés dans les réponses figurent les efforts de modernisation visant à améliorer les performances des systèmes de santé. En Ecosse,COSLAa travaillé aux côtés du gouvernement écossais pour améliorer le système de santé grâce à une plus grande collaboration entre les différents échelons de gouvernement, ce qui a également impliqué une collaboration avec le système national de santé publique et les gouvernements locaux. Néanmoins, des inquiétudes subsistent quant à savoir si cette intégration nationale de la santé et des soins sociaux locaux ne risque pas de favoriser une « recentralisation », étant donné que le gouvernement écossais a annoncé en septembre 2021 son intention de mettre en place un nouveau service national de soins.

 

L'expérience du Portugal fournit un bon exemple de ce type d'initiative de réforme visant à améliorer le rapport coût-efficacité. La privatisation partielle des soins de santé est également de plus en plus utilisée comme moyen de réduire le coût du financement public et des innovations, tel qu’on le constate en Slovaquie, qui a procédé à une vaste privatisation dans le domaine de la fourniture de soins de santé. Cela a conduit à un système de compétences partagées où les responsabilités ont été réparties entre l'État, les gouvernements régionaux et le secteur privé. En outre, des procédures médicales coûteuses ont été privatisées et plusieurs compagnies d'assurance maladie ont été créées. En Pologne, les soins primaires et secondaires ont été largement privatisés, même si les entités privées bénéficient de contrats avec le Fonds national de santé.

 

Il a été observé que, fréquemment, ces réformes s'étalent sur plusieurs années ou que des réformes multiples sont souvent menées l'une après l'autre. C'est le cas en Autriche et en Finlande, où les réformes sociales et sanitaires ont pris des formes diverses et remontent à 2006. En France aussi, les discussions sur les réformes du secteur de la santé sont en cours depuis de nombreuses années, compte tenu de l'interconnexion entre cette question et les préoccupations plus générales concernant le financement du système de sécurité sociale. Tout cela souligne que la réforme du système de santé est un processus intrinsèquement complexe. Il faut du temps pour acquérir une compréhension approfondie du système afin de s'assurer que tout changement produira des résultats positifs et souhaités.

[1] Deux pays n'ont pas répondu à cette question : la Bosnie et Herzégovine et la Grèce.

Impact des réformes de la santé sur les compétences, pouvoirs et responsabilités aux échelons local et régional

Au cours des dernières décennies, on a assisté à une décentralisation des responsabilités gouvernementales dans le domaine de la santé et, par conséquent, à une plus grande dévolution des pouvoirs vers l’infranational. Ainsi, alors que la prise de décision en matière de soins de santé tend à rester entre les mains des gouvernements centraux, les collectivités territoriales sont souvent chargées de la prestation de services de santé et, par conséquent, possèdent intrinsèquement d'importants pouvoirs de décision sur les intrants (« input ») et ressources en matière de soins de santé. Les réponses des membres du CCRE à l'enquête sur les récentes réformes de la santé confirment ces observations.

 

La majorité des répondants (17 associations)[1], sur les 22 pays où des réformes du secteur de la santé ont eu lieu au cours de la dernière décennie, ont déclaré que les changements ont eu un impact sur les tâches et les responsabilités des collectivités territoriales.

 

Seules cinq associations[2] ont indiqué que les réformes n'avaient eu aucun impact sur les responsabilités des collectivités territoriales en matière de santé. Le cas de la Moldavie est marquant, car les collectivités territoriales n'y ont aucun pouvoir ni aucune responsabilité en matière de soins de santé. Néanmoins, elles ont été appelées à exécuter quelques actions spécifiques introduites lors de la pandémie de COVID-19.

 

En examinant de plus près les données, sur les 17 associations qui ont répondu que les réformes de la santé avaient affecté les responsabilités des collectivités territoriales, la majorité a déclaré que les changements avaient conduit à une plus grande collaboration et/ou décentralisation (13 associations)[3].

 

En France, les réformes de la santé ont permis d'améliorer la coopération territoriale. La loi « HPST[4] » (Hôpital Patient Santé Territoire) de 2009 a confirmé le rôle du gouvernement central dans la définition et la mise en œuvre de la politique de santé et a renforcé l'approche territoriale par la création d'une Agence régionale de santé (l'« ARS »), une autorité chargée de mettre en œuvre la politique nationale à l’échelon régional. Les collectivités territoriales ont la possibilité de signer des contrats locaux de santé avec leur ARS, dont le rôle est de coordonner les actions développées par les collectivités territoriales afin qu'elles s'inscrivent dans les objectifs et la politique de santé définis par l'ARS pour l’échelon régional.

 

Dans le cas des Pays-Bas, d'importantes réformes des soins de santé ont entraîné à la fois une décentralisation et une collaboration plus étroite entre les acteurs de la santé.

 

Le fait d'entreprendre des réformes de la santé dans le but de fournir des services davantage « axés sur le patient », comme en témoignent les exemples de la Norvège et de la Suède, montre comment les réformes des systèmes de santé peuvent coïncider avec de meilleurs résultats en matière de collaboration et/ou de décentralisation.

 

En Norvège, la Réforme de la coordination des soins visait à répondre à trois grands défis et besoins : fournir aux patients des services mieux coordonnés, stimuler la prévention et répondre à l'évolution des besoins en matière de santé liée aux changements démographiques. Parmi les principaux résultats de la réforme, citons l'amélioration de la coordination des soins entre les municipalités et les hôpitaux, le renforcement des soins primaires et de la santé publique et l'élargissement des choix publics.

 

De même, en Suède, une nouvelle législation améliorant le choix du patient pour les soins ambulatoires a accru le pouvoir des patients/citoyens. En outre, cette nouvelle législation favorisant une plus grande coopération en matière de sortie des soins hospitaliers a conduit à une collaboration accrue entre les municipalités et les régions.

 

Bien que ce soit le cas en Hongrie et en Macédoine du Nord, les résultats de l'enquête ne fournissent que peu d'exemples pour mettre en évidence les réformes de la santé qui ont abouti à une plus grande centralisation.

 

Les membres du CCRE ont toutefois pu confirmer que les responsabilités et les pouvoirs des gouvernements infranationaux dans le domaine de la santé continuent d'évoluer, suivant le modèle plus large de la gouvernance et des réformes territoriales en cours. Bien que les décisions en matière de soins de santé soient susceptibles de rester entre les mains des gouvernements centraux, la gestion de la santé publique continuera à être façonnée par des compétences partagées entre les différents échelons de gouvernement. À mesure que les demandes de services plus efficaces, plus rentables, plus intégrés et plus centrés sur le patient augmentent, il est de plus en plus probable que les collectivités territoriales se voient confier des responsabilités et des pouvoirs pour mettre en œuvre et atteindre ces objectifs en matière de santé. La nature des responsabilités partagées entre les différents échelons de gouvernement et de la gestion de la crise liée à la COVID-19 est explorée dans la troisième partie de la présente étude.

[1] Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni (LGA), Serbie, Slovaquie, Suède, Ukraine.

[2] Albanie, Chypre, Géorgie, Malte, Moldavie (les réponses des autres répondants étaient N/A ou vides).

[3] Allemagne, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni (LGA), Serbie, Suède, Ukraine.

[4] Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, LOI n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr).